Alors que la campagne de vaccination a pu reprendre avec le vaccin Astrazeneca suite à un avis favorable de l’Agence Européenne du Médicament (EMA), des questions concernant son efficacité et sa sécurité continuent d’être soulevées. Beaucoup d’interrogations concernent notamment le risque de thrombose veineuse.
Selon le dernier avis de la HAS en date du 19 mars 2021 « la possibilité d’un lien entre le vaccin, et des cas de coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) et de thrombose veineuse cérébrale (TVC) ne peut pas être écarté à ce jour. De son côté, l’Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM), dans son dernier point de pharmacovigilance (26 mars 2021) a confirmé un risque thrombotique “très rare” associé au vaccin AstraZeneca contre la Covid.
Autre point ayant mobilisé les internautes : des comparaisons entre la pilule contraceptive et ce vaccin contre la Covid-19 ont occupé l’espace médiatique ces dernières semaines, certains pointant du doigt une contradiction dans le fait de suspendre la vaccination au mois de mars, en estimant que le nombre de cas de thrombose associé à la prise de la pilule est plus important que celui associé à la vaccination.
Afin d’y voir plus clair, Canal Détox se penche sur le sujet avec un spécialiste des thromboses.
Comprendre les thromboses
Avant de se pencher sur le risque thrombotique potentiellement associé au vaccin Astrazeneca et tenter d’expliquer les mécanismes éventuels à l’œuvre, il est utile de revenir sur ce que l’on entend lorsque l’on parle de « thrombose ». Il s’agit de l’obstruction d’un vaisseau sanguin dû à la formation pathologique d’un caillot de sang (thrombus). Celui-ci est formé de cellules (globules rouges, globules blancs, plaquettes) enserrées dans les mailles d’un réseau de fibrine (une protéine filamenteuse), lui-même généré par l’activation des facteurs de la coagulation.
Lorsque le caillot est localisé au niveau d’une artère, on parle de thrombose artérielle. S’il s’agit d’une artère coronarienne, la formation du caillot peut conduire à l’infarctus de myocarde, tandis que s’il s’agit d’une artère cérébrale, elle peut conduire à l’AVC.
Lorsque le caillot est localisé au niveau d’une veine, on parle alors de thrombose veineuse ou de phlébite. Le risque le plus important est ici que le caillot se détache de l’endroit où il s’est formé dans la veine et atteigne les poumons, conduisant à l’embolie pulmonaire.
Les données qui émergent suggèrent que les évènements thrombotiques très rares observés chez certaines personnes qui avait reçu le vaccin Astrazeneca ne sont pas exactement comme ces thromboses « classiques ».
Ces individus, plutôt jeunes en moyenne, présentent en effet une thrombose des sinus veineux cérébraux en majorité. Ce caillot localisé dans les veines du cerveau est en outre associé à une thrombopénie, c’est-à-dire une diminution du nombre de plaquettes dans le sang qui est un phénomène conduisant plutôt le plus souvent à des phénomènes hémorragiques. Il s’agit donc d’un tableau clinique et biologique très atypique, qui n’a été vu précédemment que dans de rares autres cas non liés à l’injection de vaccins, mais associés à un dysfonctionnement de la réponse immunitaire.
Des mécanismes à élucider
Qui est plus à risque de développer cette complication rare après injection du vaccin Astrazeneca ? Quelles sont les populations à risque et pourquoi ? Il est compliqué de répondre à ces questions pour le moment, car les données disponibles sont encore parcellaires et doivent encore être rigoureusement validées.
En Allemagne, des chercheurs à l’université de Greifswald en collaboration avec des équipes canadiennes ont analysé les échantillons de sang d’un petit échantillon de 9 patients affectés par un évènement thrombotique de ce type, suite à la vaccination avec le vaccin d’Astrazeneca. Leurs observations les ont conduits à évoquer un mécanisme qui pourrait permettre d’expliquer ces cas.
Dans une publication en préprint – et donc à prendre avec prudence car non encore relue par les pairs – ils expliquent que le déclenchement d’une réponse immunitaire après l’injection du vaccin aboutirait à la synthèse d’anticorps qui va notamment conduire à activer les plaquettes. Cette activation plaquettaire est le facteur déclenchant de mécanismes complexes menant à l’activation de la coagulation et à la formation de caillots sanguins.
Le mécanisme en jeu derrière ces évènements thrombotiques serait donc également bien différent des mécanismes impliqués dans les thromboses « classiques ».
Une comparaison compliquée avec la pilule ?
La suspension temporaire du vaccin d’AstraZeneca a déclenché des critiques, notamment de personnes dénonçant le maintien sur le marché de pilules contraceptives, alors que le risque de développer des thromboses serait plus important avec ces médicaments.
Il faut déjà noter qu’il n’est pas aisé de comparer des traitements qui concernent des problématiques de santé bien différentes.
Les pilules, surtout celles de troisième génération, sont associées à des évènements thrombotiques rares, parce qu’elles favorisent la coagulation et donc la formation de caillot sanguin. Disponible uniquement sur ordonnance, elles sont prescrites après avoir pris en compte plusieurs facteurs de risque individuels (comme le tabac, le surpoids, les anomalies de la coagulation, les antécédents familiaux de la coagulation et l’âge) par les professionnels de santé. Même si la survenue de thrombose est rare, elle peut être fatale dans 1 à 2 % des cas. Cependant, le mécanisme en jeu est là aussi bien différent de ce qui a été observé chez les patients vaccinés avec Astrazeneca.
La comparaison entre le vaccin et la pilule peut néanmoins être intéressante pour aborder la notion de « balance bénéfice-risque ». Selon l’EMA, dans le cas des pilules contraceptives, la balance bénéfice-risque reste positive car elle permet efficacement de prévenir les grossesses non désirées. Et ce, malgré les cas rares de thromboses qui surviennent tous les ans, dans des proportions plus importantes que les évènements thrombotiques observés avec la vaccination contre la Covid.
D’après les données disponibles à l’heure actuelle, la balance bénéfice-risque serait également positive en ce qui concerne le vaccin Astrazeneca. Étant donné la surmortalité et le poids sur le système de soins associés à la Covid, la priorité reste de lutter contre l’épidémie et de prévenir les formes graves. Or, la vaccination demeure une arme efficace dans ce contexte.
Cela ne signifie pas que la recherche ne doit pas se pencher sur la problématique des formes rares de thromboses associées à Astrazeneca. Dans les prochaines semaines, il sera surtout très important de poursuivre les travaux pour mieux identifier les personnes susceptibles d’être touchées par ces évènements thrombotiques très rares et pour élucider les mécanismes sous-jacents, dans le but d’améliorer leur prise en charge lors de la campagne de vaccination.
Ensuite, faudra-t-il orienter ces personnes à risque vers un autre vaccin ? Leur prescrire un traitement anticoagulant en période pré-vaccinale ? Toutes ces questions doivent être explorées, et la communauté médicale doit être bien informée afin d’accompagner et d’informer au mieux leurs patients des risques potentiels et des mesures à prendre pour les prévenir.Quel risque thrombotique sous contraceptif hormonal ?
Des études ont montré que le risque de thrombose dépend de la concentration en œstrogène et de la nature du progestatif. Les pilules œstroprogestatives contenant l’un des progestatifs suivants – désogestrel, gestodène, norgestimate, drospirénone, chlormanidone- multiplient par deux le risque de thrombose des femmes traitées. En pratique, ces progestatifs sont ceux qu’on retrouve dans les pilules de troisième ou quatrième génération, quelle que soit leur voie d’administration (oral, anneau et dans une moindre mesure patch).
Concrètement, on déplore chaque année 0,5 à 1 cas de thrombose pour 10 000 femmes sans contraception hormonale. Ce risque passe à 2 pour 10 000 femmes sous pilule de première ou deuxième génération, dont le progestatif est la noréthistérone, le lévonorgestrel ou le norgestrel, et à 4 pour 10 000 femmes sous pilule de 3e et 4e génération.
Avec son équipe, le chercheur et médecin Pierre Morange mène le projet PILGRIM, qui s’intéresse au risque de thrombose sous pilule. L’objectif est d’identifier plus précisément les facteurs de risques génétiques et environnementaux qui rendent certaines femmes plus susceptibles lorsqu’elles prennent ce contraceptif. Les scientifiques ont notamment montré que prendre en compte un historique familial de thrombose n’était pas suffisant pour identifier les femmes à risque.
Par ailleurs, le Dr Morange est lauréat d’une bourse de recherche ‘cœurs de femme’ financée par la Fondation de France visant à obtenir prochainement des données pangénomiques afin d’identifier de nouveaux biomarqueurs du risque.Texte rédigé avec le soutien de Pierre Morange (unité 1263 Inserm/Université Aix-Marseille, “Le C2VN, Centre de recherche en CardioVasculaire et Nutrition”, Marseille) et médecin biologiste à l’AP-HM.